Correspondence #234
PROCLAMATION A L'ARMÉE
Quartier général, Cherasco, 7 floréal an IV (26 avril 1796)
Soldats, vous avez en quinze jours remporte' six victoires, pris vingt et un drapeaux, cinquante-cinq pièces de canon, plusieurs places fortes. conquis la partie la plus riche dii Piémont; vous avez fait quinze mille prisonniers, tué ou blessé plus de dix mille hommes.
Vous vous étiez jusqu'ici battus pour des rochers stériles, illustrés par votre courage, mais inutiles à la patrie; vous égalez aujourd'hui, par vos services, l'armée de Hollande et du Rhin. Dénués de tout. us avez suppléé à tout. Vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans ponts, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie et souvent sans pain. Les phalanges républi-mes, les soldats de la liberté étaient seuls capables de souffrir ce que us avez souffert. Grâces vous en soient rendues, soldats! la patrie connaissante vous devra sa prospérité; et si, vainqueurs de Toulon, us présageâtes l'immortelle campagne de 1794, vos victoires actuelles présagent une plus belle encore.
Les deux armées qui naguère vous attaquaient avec audace fuient ouvantées devant vous; les hommes pervers qui riaient de votre mîsere se réjouissaient dans leur pensée des triomphes de vos ennemis sont nfondus et tremblants.
Mais, soldats, vous n'avez rien fait puisqu'il vous reste encore à faire. Ni Turin, ni Milan ne sont à vous; les cendres des vainqueurs de Tarquin sont encore foulées par les assassins de Basseville.
Vous étiez dénués de tout au commencement de la campagne; vous aujourd'hui abondamment pourvus; les magasins pris à vos ennemis sont nombreux; l'artillerie de siége et de campagne est arrivée. Soldats, patrie a droit d'attendre de vous de grandes choses; justifierez-vous tente? Les plus grands obstacles sont franchis, sans doute; mais vous avez encore des combats à livrer, des villes à prendre, des rivières à passer. En est-il entre vous dont le courage s'amollisse? En est-il qui préféreraient retourner, sur les sommets de l'Apennin et des Alpes, essuyer patiemment les injures de cette soldatesque esclave? Non, il n'en est point parmi les vainqueurs de Montenotte, de Millesimo, de Dego et. Mondovi. Tous brûlent de porter au loin la gloire du peuple français us veulent humilier ces rois orgueilleux qui osaient méditer de nous onner des fers; tous veulent dicter une paix glorieuse et qui indemnise patrie des sacrifices immenses qu'elle a faits; tous veulent, en rentrant dans leurs villages, pouvoir dire avec fierté: "J'étais de l'armée conquérante de l'Italie!"
Amis, je vous la promets, cette conquête; mais il est une condition qu'il faut que vous juriez de remplir, c'est de respecter les peuples que vous délivrez, c'est de réprimer les pillages horribles auxquels se portent des scélérats suscités par nos ennemis. Sans cela, vous ne seriez pas les libérateurs des peuples, vous en seriez les fléaux; vous ne seriez pas l'honneur du peuple français, il vous désavouerait. Vos victoires, votre courage, vos succès, le sang de nos frères morts aux combats, tout serait perdu, même l'honneur et la gloire. Quant a moi et aux généraux qui ont votre confiance, nous rougirions de commander à une armee sans discipline, sans frein, qui ne connaîtrait de loi que la force. Mais, investi de l'autorité nationale, fort de la justice et par la loi, je saurai faire respecter à ce petit nombre d'hommes sans courage et sans coeur les lois de l'humanité et de l'honneur qu'ils foulent aux pieds. Je ne souffrirai pas que des brigands souillent vos lauriers; je ferai exécuter à la rigueur le règlement que j'ai fait mettre à l'ordre. Les pillards seront impi-toyablement fusillés; déjà plusieurs l'ont été j'ai eu lieu de remarquer avec plaisir l'empressement avec lequel les bons soldats de l'armée se sont portés pour faire exécuter les ordres.
Peuples de l'Italie, l'armée française vient pour rompre vos chaînes; le peuple français est l'ami de tous les peuples venez avec confiance au-devant d'elle; vos propriétés, votre religion et vos usages seront respectés. Nous faisons la guerre en ennemis généreux, et nous n en voulons qu'aux tyrans qui vous asservissent.
BONAPARTE