Correspondence #1427
AU CITOYEN CARNOT
Quartier général, Verone, 9 pluviôse au V (28 janvier 1797)
J'ai reçu votre lettre, mon cher Directeur, sur le champ de bataille de Rivoli. J'ai vu dans le temps avec pitié tout ce que l'on débite sur mon compte; l'on me fait parler, chacun suivant sa passion. Je crois que vous me connaissez trop pour imaginer que je puisse étre influencé par qui que ce soit. J'ai toujours eu à me louer des marques d'amitié que vous m'avez données, à moi et aux miens, et je vous en conserverai toujours une vraie reconnaissance. Il est des hommes pour qui la haine est un besoin, et qui, ne pouvant pas bouleverser la République, s'en consolent en semant la dissension et la discorde partout où ils peuvent arriver. Quant à moi, quelque chose qu'ils disent, ils ne m'atteignent plus l'estime d'un petit nombre de personnes comme vous, celle de mes cama-rades et du soldat, quelquefois aussi l'opinion de la postérité, et, par-dessus, tout le sentiment de ma conscience et la prospérité (le mon pays, m'intéressent uniquement.
Deux divisions de l'armée sont aujourd'hui à Bassano; l'ennemi, à ce qu'on m'assure, évacue Trente. Mantoue est toujours strictement bloquée. Le baron de Saint-Vincent est parti le 4 de Trente pour Vienne. Le 15, nous bombardons Mantoue. Colli, celui qui commandait l'armée autri-chienne en Piémont, est débarqué à Ancêne avec quelques officiers et sous-officiers autrichiens; il a déjà passé en revue l'armée papale. Quand vous aurez reçu cette lettre, une de nos divisions aura déjà attaqué cette armée. J'ai écrit au citoyen Cacanit pour qu'il eût sur-le-champ à éva-cuer Rom e; on n'a pas d'idée des maùv ais traitements que cette prêtraille lui a fait essuyer.
J'attends toujours avec impatience Villemanzy; Denniée ne va plus; Leroux va exercer ses fonctions en attendant.
Tous les officiers autrichiens, généraux et autres, auxquels j'ai fait part de la bêtise de la cour de Vienne, qui, dans les entrevues avec le géné-ral Clarke, a paru ne pas reconnaître la République, ont beaucoup crié. L'opinion publique, à Vienne, est très-contraire à Thugut. J'ai dit à Man-fredini, la dernière fois que je l'ai vu, que, si l'Empereur voulait avoir la preuve que Thugut s'était vendu à la France dans le temps de son am-bassade à Constantinople, il serait facile de la lui procurer.
Je vous prie de presser Truguet pour l'envoi de quelques frégates dans l'Adriatique.
La tête des troupes que vous annoncez, venant du Rhin, n'est pas en-core arrivée à Lyon; de Lyon à Vérone, il y a vingt-huit jours de marche; nous avons aujourd'hui le 9 ainsi il n'y a pas d'espoir qu'avant le q ventôse nous puissions avoir ici un seul bataillon des colonnes venant du Rhin. Des 10,000 hommes de l'Océan, annoncés depuis tant de temps, il n'y a encore que 1,800 hommes, formant la 64e demi-brigade, qui soient arrivés. De Vienne à Trente, il n'y a que trente jours de marche; de Vienne à la Piave, c'est-à-dire près de Bassano, il y a encore moins.
J'ai écrit à la trésorerie relativement à son indécente conduite avec la compagnie Flachat. Ces gens-là nous ont infiniment nui en empor-tant cinq millions, et par là nous ont mis dans la situation la plus cri-tique. Quant à moi, s'ils viennent dans l'arrondissement de l'armée, je les ferai mettre en prison, jusqu'à ce qu'ils aient rendu à l'armée les cinq millions qu'ils lui ont enlevés. Non-seulement la trésorerie ne pense pas à faire payer le prêt à l'armée et à lui fournir ce dont elle a besoin, mais encore elle protége les fripons qui viennent à l'armée pour s'en-graisser. Je crains bien que ces gens-là ne soient plus les ennemis de la République que les cours de Vienne et de Londres.
Vous verrez, par la lettre que j 'écris au Directoire, que nous venons encore de faire 1,100 prisonniers aux deux combats de Carpane et d'Avio. Nous serons sous peu à Trente; je compte garder cette partie du Tyrol et la Piave jusqu'à l'arrivée des forces que vous m'annoncez. Dès l'instant qu'elles seront arrivées, je serai bientôt à Trieste, à Klagenfurth et à Brixen; mais il faut pour ces opérations que les 30,000 hommes que vous m'annoncez arrivent.
Je vous serai obligé, par le premier courrier, de me donner des nou-velles de l'expédition d'Irlande, surtout s'il y en a de mauvaises; car, pour peu que nous ayons quelque désavantage, on ne manquera pas d'exagérer au centuple.
BONAPARTE