Correspondence #1319
AU DIRECTOIRE EXÉCUTIF
Milan, 8 nivôse an V (28 décembre 1796)
L'année du général Alvinzi est sur la Brenta et dans le Tyrol; l'armée de la République est le long de l'Adige, et occupe la ligne de Monte-Baldo, la Corona, Rivoli. Nous avons une avant-garde en avant de Vé-rone et à une lieue en avant de Porto-Legnago.
Mantoue est cernée avec le plus grand soin. Le 9 de ce mois, le général Dumas surprit un espion qui entrait dans la ville; c'est un cadet autri-chien qui avait été expédié de Trente par Alvinzi. Après de grandes façons, il avoua qu'il était porteur de dépéches, et, effectivement, il rendit, vingt-quatre heures après (allant à la garde-robe), un petit cylindre où était renfermée la lettre ci-jointe de l'Empereur. Si cette méthode de faire avaler les dépêches n'était pas parfaitement connue, je vous enverrais les détails, afin que cela soit envoyé à nos généraux, parce que les Au-trichiens se servent souvent de cette méthode. Ordinairement les espions gardent cela dans le corps pendant plusieurs jours; s'ils ont l'estomac dérangé. ils ont soin de reprendre le petit cylindre, de le tremper dans de l'élixir et de le réavaler. Ce cylindre est trempé dans de la cire d'Es-pagne délayée dans du vinaigre.
Vous verrez, par la lettre de l'Empereur, que Wurmser doit effective-ment être à toute extrémité; la garnison ne se nourrit que de polenta et de viande de cheval; cependant il est possible que sa réduction tarde encore. Les Autrichiens mettent tant d'espérance dans cette place, qu'il n'est pas étonnant qu'ils souffrent toutes les extrémités avant de la rendre.
Le parti qu'ordonne l'Empereur n'est pas bien dangereux.
Le corps franc des volontaires de Vienne, fort de 4,000 hommes, est arrive a Trente; il y a un caporal qui est chambellan. C'est une garde nationale. 3,000 hommes sont déjà arrivés à Trente, venant du fihin, et lt,ooo recrues de Hongrie. Les chemins sont chargés de troupes. Nous, au contraire, nous en sommes toujours au premier des renforts annoncés au commencement de la campagne, qui n'arrivent pas encore.
L'état de situation que vous m'avez envoyé est plein de doubles emplois et de fautes. Je suis entré en campagne avec un corps d'armée de 24,000 hommes d'infanterie, une division du col de Tende et de Fenestre, et les garnisons des Alpes-Maritimes, de 8,000 hommes, dont 6,000 m'ont rejoint après la bataille de Mondovi, en descendant le col de Tende. J'ai donc eu 30,000 hommes de la ci-devant armée d'Italie dans les plaines du Piénont.
L'armée des Alpes m'a fourni 8,500 hommes, qui ne doivent pas être considérés comme renfort, puisque l'armée des Alpes défendait les fron-tières d'Italie.
On peut donc considérer l'armée d'Italie proprement dite comme ayant été primitivement de 38,500 hommes d'infanterie.
Le Gouvernement l'a renforcée de 2,600 hommes venant du général Châteauneuf-Randon, et des 33e, 6e, 40e et 58e demi-brigades venant de la Vendée, et de la 14e venant de Paris, faisant en tout 10,000 hommes.
Si donc l'armée n'avait perdu personne, elle aurait 51,100 hommes d'infanterie, mais sur lesquels 4,000 hommes ont été tués sur le champ de bataille, comme le prouve l'état ci-joint, i,ooo blessés hors de ser-vice, 1,000 morts aux hôpitaux: en tout 7,000.
On a donc perdu 7,000 hommes, dont 1,000 cavaliers, pionniers ou artilleurs; reste donc 45,100 hommes d'infanterie dont elle est composée.
Vous voyez donc, Citoyens Directeurs, que votre armée a reçu, non pas 57,000 hommes de renfort, mais seulement 12,600 hommes, dans une campagne où il y a eu taut de batailles, et où les mêmes hommes ont détruit l'armée sarde et l'armée de Beaulieu, fortes de 73,000 hommes; l'armée de Beaulieo, renforcée de 20,000 hommes du Rhin commandés par Wurmser; l'armée de Wurmser, renforcée de 18,000 hommes tirés la Pologne, 6,000 du Rhin, et 12,000 recrues, commandés par Alvinzi. Et nous sommes à la veille d'avoir affaire aux débris de toutes ces mées, renforcés par 4,000 volontaires de Vienne, 3,000 hommes du Rhin, 3,000 recrues déja arrîvees, 1,500 que l'on m'assure que les en-emîs attendent dans le courant de janvier, plus les recrues qui arrivent e tous les côtés.
Il a fallu du bonheur et du bien joué pour vaincre Alvînzi. Comment espérer vaincre, avec les mêmes troupes, Alvinzi renforce' de 30 à 35,000 hommes, tandis que nous n'avons encore reçu que 3,000 hommes?
La guérison de nos malades est sûrement un avantage; mais les malades de Wurmser se guérissent aussi dans Mantoue. Vous m'avez annoncé 10,000 hommes de l'Océan et 10,000 hommes du Rhîn, mais rien de cela n'arrive; il y a cependant six décades de votre annonce: on dit même que la tête de cette colonne de l'Océan a re'trogradé.
Il paraît, d'après la lettre de l'Empereur, qu'une lutte se prépare pour janvier. Faites au moins que les secours qui devaient arriver contre Alvinzi, et dont la victoire d'Arcole nous a mis a meme de nous passer, arrivent actuellement; sans quoi vous sacrifiez l'armée la plus attachée à la Constitution, et qui, quels que soient les mouvements que se donnent les ennemis de la patrie, sera attachée au Gouvernement et à la liberté avec le même zèle et la même intrépidité qu'elle a mis à conserver l'Italie à la République.
Je le dis avec une vraie satisfaction, il n'est point d'armée qui désire davantage la conservation de la Constitution sacrée, seul refuge de la liberté et du peuple français. L'on hait ici et l'on est prêt à combattre les nouveaux révolutionnaires, quel que soit leur but. Plus de révolution, c'est l'espoir le plus cher du soldat. Il ne demande pas la paix, qu'il désire intérieurement, parce qu'il sait que c'est le seul moyen de ne la pas obtenir, et que ceux qui ne la désirent pas l'appellent bien haut pour qu'elle n'arrive pas; le soldat se prépare à de nouvelles batailles, et s'il jette quelquefois un coup d'oeil sur l'esprit qui anime plusieurs villes dans l'intérieur, son regret est de voir les déserteurs accueillis, protégés, et les lois sans force, dans un moment où il s'agit de décider le sort du peuple français.
Enfin, Citoyens. Directeurs, l'ennemi retire ses troupes du lihin pour les envoyer en ltalie; faites de même, secourez-nous. Il n'y aura jamais que la disproportion trop marquée des ennemis qui pourra nous vaincre. Nous ne vous demandons que des hommes; nous nous procurerons le reste avec d'autant plus de facilité que nous serons plus nombreux.
Ci-joint une pétition des officiers de la 57e, qui réclament le citoyen Macon, leur chef de brigade, arrêté par ordre du général Willot.
BONAPARTE